LAURE TIBERGHIEN
RIEN NE RÉSISTE AU SOLEIL
Du 14 mars au 1er avril 2022
Commissariat d'exposition : Olivier Schefer
Vernissage le 15 mars 2022
Sorbonne Artgallery a le plaisir de vous présenter l'exposition personnelle Rien ne résiste au soleil de Laure Tiberghien, du 14 mars au 1er avril 2022.
Il est précieux d’écouter un artiste qui parle de son travail surtout lorsque quelque chose lui échappe, fuit dans les marges, se resserre sur une mince frontière. La pratique de Laure Tiberghien hésite entre la maîtrise technique en laboratoire (pas de prises de vue directes chez elle) et l’attention au surgissement d’événements accidentels, ce qu’elle appelle des « fuites ». L’artiste inscrit sa pratique artistique dans l’histoire de la photographie sans appareil – les célestographies d’August Strindberg, les cyanotypes de la botaniste Anna Atkins –, elle est aussi proche du monochrome pictural et de certains peintres du Champ Coloré, on songe souvent ici aux toiles de Mark Rothko. Venue à la photographie par la pratique picturale, Laure Tiberghien œuvre dans l’obscurité de son studio pour révéler des horizons lumineux sur le papier sensible qu’elle manipule au moyen de morceaux de gélatines colorés.
C’est ainsi qu’elle observe un jour le liseré vert entourant certaines de ses productions. Comme le cadre imperceptible d’une toile de Sam Francis, ces minces lignes colorées – hasard de ses expérimentations – intriguent d’emblée son regard. Qu’y a-t-il ici à voir ? L’artiste baptise ce rai «rayon », en souvenir du rayon vert : la dernière lueur du soleil au moment de son coucher qui surgit lorsque certaines conditions atmosphériques sont favorables. Ce rayon vert qui fut d’abord décrit par des navigateurs a hanté la littérature, de Jules Verne à Blaise Cendrars, le cinéma et les arts plastiques. Il est aussi bien réel qu’imaginaire. Un green flash, disent les anglais, qui dure un quart de seconde. Sa réalité est quasi mythique, le rayon vert est une utopie vraie, un rêve de lumière que peu d’entre nous ont vraiment vu.
Laure Tiberghien s’en saisit pour photographier une ligne imaginaire, celle d’un horizon irréel et continu qui se donne aussi bien à voir qu’à appréhender dans le parcours de la galerie de la Sorbonne. Comme si l’artiste nous disait qu’on ne peut percevoir d’horizon si on n’en fait pas physiquement l’épreuve, celle d’un paysage à parcourir et à éprouver. Le monde invisible se tient à la bordure du monde réel, de même que la ligne d’horizon s’éloigne à mesure qu’on s’en approche.
Rien ne résiste au soleil : puissance de l’astre majeur au sein même de l’obscurité. Les photographies de Laure Tiberghien ouvrent dans le noir épais du papier la promesse d’un chemin inconnu. Sa ligne verte nous rappelle ces routes hypnotisantes qui défilent la nuit sous les phares d’une voiture et que nous percevons dans un état second, entre la veille et le rêve.
Hasards artistiques et fuites de lumière
Pline l'Ancien raconte que le peintre de l'antiquité grecque Protogène, désespérant de parvenir à peindre la bave d'un chien, aurait jeté une éponge gorgée de peinture sur sa toile : ce jet colérique produisit par hasard l'empreinte du motif qu'il n'arrivait pas à reproduire. Un soir, Wassily Kandinsky entrant dans son atelier découvre une de ses toiles, posée de biais, dont il ne peut identifier la forme ni le sujet, elle baigne dans « la fine lumière du crépuscule ». À dater de ce moment, il dit avoir pris conscience du caractère superflu de l'objet en peinture. De manière plus systématique, suivant une loi secrète énoncée par les romantiques allemands (« le hasard également n'est pas sans raison - il a sa régularité » écrit Novalis), les Surréalistes ont souvent puisé dans le hasard « objectif » des rencontres et des expériences. Max Ernst relate l'après-midi de pluie où, fixant les lattes d'un parquet, il voit des motifs cachés que le frottage va mettre au jour. André Breton tombe nez-à-nez avec cette femme qui l'inspira, Nadja. Qui es-tu? lui demande-t-il « Je suis l'âme errante », rétorque-t-elle.
L'on pourrait multiplier les cas singuliers de ce type où alternent préméditations du hasard - la méthode de composition musicale élaborée par John Cage à partir du Yi King chinois, Music for Changes - et chocs incongrus, des hasards aveugles en quelque sorte. Mais les erreurs de parcours - incidents, ratages techniques, surgissements - n'ont rien de gratuit pour un artiste, elles élargissent le champ de son expérience et l'horizon de son regard. Aussi est-il toujours précieux d'écouter un artiste parler de son travail en cours, surtout lorsque quelque chose lui échappe, fuit dans les marges, se resserre sur une mince frontière.
Diplômée des Beaux-Arts de Paris en 2016, Laure Tiberghien vit et travaille à Paris. En 2017, elle est invitée par Françoise Paviot et réalise sa première exposition personnelle, La Société Lumière, à l’Espace Van Gogh à Arles. En 2018 elle part en résidence dans le désert d’Agafay, à La Pause Residency. Cette même année elle sera invitée par l’artiste Eric Poitevin à exposer à l’ArTsenal, le centre d’art de la ville de Dreux avec six autres artistes. En février 2019 la galerie Lumière des Roses l’invite pour une exposition personnelle. Elle est co-lauréate du prix Découverte Louis Roederer des Rencontre d’Arles en juillet 2019. À la suite de quoi elle entre dans les collections des rencontres d’Arles puis dans celles du Musée français de la Photographie. En 2020, elle participe à l’exposition du Centre Photographique d’Ile de France et du FRAC Normandie, La photographie à l’épreuve de l’abstraction. La même année, le Centre Pompidou a fait l’acquisition de trois de ces œuvres. Laure Tiberghien explore les limites du medium photographique en questionnant ses deux éléments fondamentaux : la lumière et le temps. Elle travaille également l’image en mouvement en corrélation avec l’image fixe. En utilisant ces éléments, elle crée des objets photographiques ou filmiques non reproductibles et donc uniques.